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Commémoration de l’abolition de l’esclavage : Où en sont les Noirs de France ?
Retour sur la journée de commémoration de l'abolition de l'esclavage ce 10 mai
Par Lucien Pambou le 11/05/2013
Je suis, avec l’actuel Président du Cran Louis Georges Tin et son ancien président Patrick Lozes (dont certains journaux disent qu’ils sont en conflit), un des co-fondateurs du Cran. En novembre 2005, au moment où nous créons le Cran, je deviens le premier Secrétaire général de cette fédération des Noirs de France.

J’ai construit l’organisation techniquement mais j’ai voulu aussi faire preuve d’innovations argumentatives en insistant sur des sujets qui fâchent comme la décentralisation du mouvement, le travail sur le terrain, l’ouverture aux autres associations noires ultramarines. Ces sujets de travail m’ont toujours été refusés par le bureau du Cran.
Pour les associations noires africaines dont les membres étaient sur représentées au sein du Cran canal historique, c’est la question de l’égalité devant la loi et de la lutte contre les discriminations qui devait être primordiale.

La question de l’esclavage était subsidiaire et certaines associations ultramarines n’acceptaient pas que cette question soit dissoute dans celle de la seule lutte contre la discrimination qui, elle, n’impliquait ni réparation morale, ni réparation matérielle. On voit déjà se poser deux façons d’aborder les débats entre Noirs de France sur le terrain. Les Ultramarins et les Noirs africains étaient en opposition. Il ne s’agit pas ici de révéler des éléments cachés mais de dénoncer des pratiques que l’on veut justement garder cachées et qui ont toujours empêché dans l’histoire les associations noires de fonctionner réellement. C’est vrai dans le cas américain mais cela l’est aussi dans le cas balbutiant français.

J’ai essayé en tant que secrétaire général (du CRAN) de montrer qu’il fallait un rapprochement (...) entre Ultramarins et Africains qui se regardent en chiens de faïence
Lucien Pambou


J’ai essayé en tant que secrétaire général de montrer que la disjonction des problèmes devaient conduire vers la convergence et qu’il fallait un rapprochement entre les objets de débat mais aussi entre Ultramarins et Africains qui se regardent en chiens de faïence, qui sont discriminés de la même façon sur le sol français mais qui ne perçoivent pas la discrimination de la même façon, les Ultramarins se considérant comme un peu plus français que les Noirs africains devenus français.
Ce débat n’a pas disparu, il traverse toujours le Cran et son expression la plus malheureuse au sein de cette fédération des Noirs est la crise qu’elle rencontre, crise qui n’est en fait que la traduction de la lutte pour le pouvoir que se livrent ses principaux dirigeants. Son ancien Président Lozès, aux dires de certains, aurait profité de son statut de Président pour se lancer dans la course présidentielle et législative. Je laisse à ces dires le soin de leurs affirmations. Pour moi, la fédération des Noirs a raté une occasion historique : celle de construire un combat analytique, historique dans la société française, le combat des Noirs au nom de l’égalité républicaine et de la valorisation mémorielle.

La République, bonne fille, par la loi Taubira a fait un pas en avant. Les Noirs ou alors les citoyens dont le phénotype est plus ou moins foncé (car là encore la notion de couleur n’est que le reflet des images que l’œil veut bien retenir avec ce que cela comporte de stigmatisation) passent leur temps à être en situation de préséance vis-à-vis de leurs interlocuteurs institutionnels, qui pour des postes, qui pour de la considération politique, qui pour de la considération sociale et économique.

Le combat des Noirs de France ne repose sur aucune lisibilité. Il ne s’agit pas de détruire la République, il ne s’agit pas non plus de la communautariser, il s’agit de dire qu’un certain nombre de discriminations doivent cesser. Le débat actuel sur le mariage contre ou pour tous est un clin d’œil de l’organisation sociétale pour certaines associations qui veulent faire triompher leur cause. Le Cran continue d’avoir une place institutionnelle mais sans visibilité politique, sociologique et économique réelle.

Une fois le 10 Mai passé, le combat des Noirs en faveur de la lutte contre les discriminations (emploi, logement, etc.) disparait pour attendre le 10 Mai de l’année suivante
Lucien Pambou
Où sont ces associations plurielles membres du Cran capables de relayer leurs actions en dehors de la période très critique du 10 Mai, celle de la commémoration ? Une fois le 10 Mai passé, le combat des Noirs en faveur de la lutte contre les discriminations (emploi, logement, etc.) disparait pour attendre le 10 Mai de l’année suivante. Entendons-nous bien, il n’y a pas que les Noirs qui sont discriminés dans la société française et je ne tiens pas un discours de pleurnicheurs ou de pleurnicheuses.

Les Noirs français en tant que citoyens doivent se battre individuellement et ils ont raison. Mais la République n’interdit pas à ses citoyens au nom d’objectifs nobles, de revendications, de valorisations mémorielles comme la dénonciation de la Traite de se rassembler et de réfléchir méthodiquement sur leur histoire. Cela n’est possible que si les Noirs de France africains, ultramarins et ceux d’ailleurs s’accordent sur un minimum : la discrimination en direction de leur groupe social (c’est vrai que le groupe social n’est pas homogène me répondront les « coloristes ») et comment s’organiser pour revendiquer des droits de réparation morale ou matérielle tout en acceptant les devoirs de leur appartenance à la République française.

Les Noirs de France de toutes les origines doivent se parler pour travailler ensemble, ce qui n’était pas le cas hier pendant l’esclavage au nom d’une position par rapport au maître (Noirs des champs/Noirs des villes ou Noirs travaillant dans la plantation/Noirs domestiques dans la maison du maître) et ce qui paradoxalement continue aujourd’hui, même si 1848 a fait des Noirs des hommes libres politiquement.
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