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La nouvelle guerre du Mali : les limites de l’opération Serval
Lucien Pambou revient sur les implications et limites de l'opération Serval au Mali
Par Lucien Pambou le 27/02/2013
Avec d’autres, j’ai salué l’intervention française au Mali. Avec d’autres, j’ai naïvement pensé que la seule intervention française suffisait pour résoudre un problème dont les explications sont à rechercher dans la constitution sociologique même du Mali. Le terrorisme actuel au Mali n’est que la mise en valeur d’une opération djamadiste, aujourd’hui baptisée djihadiste et qui fut menée dès le 19ième siècle par El hadj Omar Tall qui avait recruté des populations appartenant à la Guinée actuelle, au Sénégal et au Mali pour islamiser les peuples animistes que furent les Bambaras et les Peuls.

C’est une réalité qui n’est pas mise en évidence et qui est très peu connue. Elle est importante et nécessaire pour expliquer la situation actuelle et les différentes compromissions du MNLA avec les djihadistes. La guerre actuelle, puisque c’est bien de cela dont il s’agit au nord Mali a montré les limites de la capacité doctrinale, stratégique et logistique des militaires maliens et à travers eux les faiblesses des armées africaines. On reproche au MNLA d’être les suppôts des djihadistes.

La guerre actuelle au Mali a mis en exergue les faiblesses des armées africaines
Lucien Pambou


Le MNLA, par sa déclaration d’indépendance de la terre Azawad, aurait favorisé l’entrée du loup djihadiste en territoire malien secoué aussi par le coup d’Etat du Capitaine Sanogo qui a interrompu le processus démocratique voulu par Atoumani Touré en 1991 en déposant Moussa Traoré. Paradoxalement Sanogo reproche à Atoumani Touré d’être lâche et de ne pas défendre les intérêts de l’Etat malien. Le coup d’Etat du Capitaine Sanogo avait été applaudi par une partie des intellectuels maliens et de la société civile. On rêve, alors que les Maliens n’ont que le mot de justice, confiance, processus démocratique à la bouche.

Le capitaine Sanogo
Ni le Président Konaré, ni le Président ATT ont condamné le coup d’Etat du capitaine Sanogo. De qui se moque-t-on ? L’affaire malienne montre la couardise et les ambiguïtés de la plupart des Africains que nous sommes quand nous parlons de politique.

Sans la France, sans la décision de François Hollande, aujourd’hui Bamako serait sous l’influence d’un conseil islamique avec l’application de la charia sur tout le territoire. Nous sommes dans une guerre asymétrique qui commence. Plutôt que d’y réfléchir pendant que les forces françaises sont encore sur le sol malien, la classe politique se préoccupe de préparer des élections.

On croit rêver et on marche sur la tête ! En quoi un nouveau gouvernement élu à Bamako sera-t-il capable pour mobiliser les troupes internes et la communauté internationale pour libérer totalement le Mai. Nous sommes dans une guerre asymétrique comme disent les spécialistes. Les terroristes sont mobiles, peuvent se faire exploser à Gao, à Tombouctou et demain à Bamako. Je ne suis pas un oiseau de mauvais augure mais j’essaie de dépasser l’émotion qui nous caractérise souvent en Afrique face à des situations difficiles.

En quoi un nouveau gouvernement élu à Bamako sera-t-il capable pour mobiliser les troupes internes et la communauté internationale pour libérer totalement le Mali ?
Lucien Pambou


L’attaque des terroristes doit être condamnée, mais assez paradoxalement cette attaque montre en creux la logorrhée et le verbalisme actionnel des Africains que nous sommes, fiers de notre souveraineté octroyée par la conférence de Berlin en 1884/85 grâce aux frontières ainsi qu’aux mécanismes de décolonisation et l’attribution de l’indépendance. Bien sûr, il ne faut pas demander à l’Afrique de réaliser en si peu de temps ce que l’Europe a dû faire en 200 voire 300 ans. Mais tout de même, doit-on forcément attendre 200 ou 300 ans pour ne pas être nous-mêmes tout en s’inspirant des expériences des autres.

A quoi sert une élection présidentielle dans un Mali en proie à une guerre, alors que le territoire reste encore fracturé par les frappes françaises et djihadistes ? Pourquoi sommes-nous si indolents et misérabilistes vis-à-vis de nous-mêmes ? La réponse est politique. Pour les responsables maliens, organiser les élections c’est un moyen d’exister dans l’espace politique, fractionné pour l’instant, mais qui sera peut-être reconstruit si la communauté internationale intervient par l’envoi d’une force multinationale au nord du Mali.

A quoi sert une élection présidentielle dans un Mali en proie à une guerre, alors que le territoire reste encore fracturé par les frappes françaises et djihadistes ?
Lucien Pambou


Comme d’habitude les autorités maliennes peuvent donner l’impression qu’ils n’ont pas de stratégie ; elle existe car la classe politique malienne accepte de faire du Capitaine putchiste Sanogo un homme politique responsable, en charge de la réforme des armées maliennes. On croit rêver mais nous sommes bien dans le chaos mental de la plupart des gouvernants africains, mais surtout maliens, qui bernent leur peuple pour mieux servir leurs propres intérêts.
Si on revient sur les éléments classiques d’organisation des élections, les Maliens ont besoin de 2 milliards de CFA. En le disant, ils s’adressent à la communauté internationale. Comment va-t-on organiser la commission électorale indépendante ? Comment vont être recensées les populations qui devront recevoir les cartes d’identité ? Comment construire le fichier électoral ? Comment surveiller les élections sur l’ensemble du territoire ? Autant de questions qui sont évacuées par les autorités maliennes encouragées en cela par la France qui pense avoir accompli son devoir en érigeant un barrage face à l’islamisme djihadiste triomphant.

La France va progressivement se retirer du bourbier malien. Les armées africaines vont être sollicitées et on va les voir à l’œuvre dans une guerre asymétrique vis-à-vis des djihadistes. Une nouvelle guerre commence avec des attaques kamikazes au cœur des villes maliennes. Je suis curieux de voir comment la CEDEAO, les forces maliennes, les forces africaines, vont réagir sur le terrain face aux djihadistes une fois la France partie et remplacée par les soldats de la communauté internationale qui, me semble-t-il, auront pour mission de s’interposer comme d’habitude et non d’intervenir.

A moins que leur feuille de route change, ce qui permettra de donner du souffle aux armées africaines pléthoriques de généraux incapables. La guerre asymétrique implique une stratégie différentielle comparée à une guerre conventionnelle. L’armée malienne et les armées africaines sont au pied du mur. A elles de montrer qu’elles sont capables de relever le défi de la lutte contre le terrorisme qui ne concerne pas le Mali seul, mais toute la zone sahelo-sahalienne et peut-être demain le reste des pays au sud du Sahara.

Lucien PAMBOU
Editorialiste sur Africa 24

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