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Ce soir, je dors à la Préfecture
A la préfecture de Bobigny, les étrangers sont obligés d’arriver aux aurores pour espérer être reçus ou déposer un dossier.
Par Magatte Mbengue le 15/01/2013
Il est 4h du matin à Bobigny, il fait 4 degrés devant la préfecture de Seine Saint Denis. Des grappes de gens comme des ombres se sont déjà massés devant les bureaux sombres et fermés du service d’accueil des étrangers. Des candidats à l’Asile ou des immigrés sans papiers qui veulent sortir de la clandestinité se pressent devant la porte 3. A côté la porte 2 accueille une foule de gens munis de convocation qui viennent « théoriquement » retirer leur titre de séjour. Un peu plus loin, la porte 1 est dévolue au dépôt de dossiers pour le renouvellement des titres de séjour de candidats arrivés légalement en France.

Il est 4h du matin à Bobigny, il fait 4 degrés, emmitouflés les traits tirés, la capuche rabattue sur le front, ils se protègent comme ils peuvent du froid qui glace les pieds, fait trembler les lèvres. Ils sont une cinquantaine à s’être levés aux aurores pour être sûrs d’obtenir un ticket qui sera distribué à 8h30 et ainsi accomplir les formalités administratives. Il faut arriver très tôt, parfois la veille. Certains sont venus à 23h, d’autres à 1h du matin.

« Je suis arrivée à 4h du matin, déclare Alice, une ivoirienne rencontrée devant la porte 3 et qui souhaite juste s’informer. S’assurer une place relève du parcours du combattant. Certains usent de stratagèmes inattendus pour garder une place obtenue au prix d’une nuit blanche. Des bouts de cartons, un parapluie ou encore une chaise servent à réserver une place !
« Il y a deux personnes devant moi » déclare Alice soulagée. Là, vous voyez les deux cartons, c’est deux personnes et après c’est à mon tour. Les deux bouts de carton, c’est deux personnes qui sont arrivées avant moi. Elles ont réservé leur place. Elles sont parties se reposer, boire un café…fumer… »

Arrive Mohsin (le prénom a été changé) un monsieur d’un certain âge, un bonnet noir lui barre le front, yeux noirs qui pétillent sous l’effet de la lumière du lampadaire un sac de courses dans chaque main. « Café, thé, eau, biscuits », marchand ambulant devant la préfecture, il propose aux personnes de quoi patienter et tromper le temps. Il ne veut pas répondre aux questions. « Je travaille moi ! Café, thé… » Il s’en va chercher le client. Un autre propose des chips…

Il est 4h du matin, il fait 4 degrés à Bobigny. L’ambiance est tendue, certains font commerce des places qu’ils ont « réservées ». La posture et le ton sont intimidants afin de protéger leur commerce illégal. Moyennant 20 euros vous obtenez une place. Un vieil algérien longiligne, cheveux blancs sort fièrement un billet pour payer la place de sa femme. Une jeune chinoise, sanglée dans un manteau noir et bottes hautes fait de même. Cheveux noirs à la Tina Turner, Véronique (le prénom a été changé), une camerounaise à l’humour bruyant divertit son petit auditoire.
Le regard lourd de sommeil, elle masque son angoisse de devenir "sans-papiers" en faisant des blagues. Elle finit par lâcher "j’espère que ma carte est là. Ah j’espère qu'elle est arrivée ma carte" dans un soupir étouffé "C’est la quatrième fois que je viens ici. A chaque fois, on me donne un récépissé valable trois mois, mais aujourd'hui j’espère enfin que ma carte me sera délivrée. Théoriquement elle est prête". Neuf mois pour imprimer une carte ! Pourtant l’enjeu derrière ce précieux sésame est de taille. « Si je n’ai pas ma carte, je deviens sans papiers ! J’ai pris ma journée pour venir, je la rattraperai comme j’ai fait pour les trois fois précédentes. » En 2013, L’e-république n’est pas encore arrivée à Bobigny !

Fatima, jolie visage rond, cheveux attachés dans un beau voile gris clair, les mains dans le manteau. « Je viens chercher ma carte de dix ans, il faut arriver tôt c’est comme ça ici. Quand je pense qu’il y en a qui croient que nous avons la belle vie en France. 4h du matin c’est quand même très tôt, les bureaux ouvrent à 8h30 ! Mais si vous arrivez à 8h vous ne serez pas reçu. Maintenant ça va mieux, c’était pire avant. Il y a dix ans il y avait une bousculade terrible, je me souviens j’étais enceinte.

Heureusement, le policier m’a dit de sortir de la file et il m’a fait passer devant tout le monde». Le sourire radieux la voix douce, elle concède « de toutes façons, c’est la dernière fois que je viens ici. Je me suis enfin décidée à demander la naturalisation. Mon mari et mes enfants sont français». Il est 7h10 le service de l’immigration ouvre ses portes dans une 1h20mns.

Retrouvez Magatte Mbengue sur son blog : magattembengue.blogspot.fr
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