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Béatrice Ngambo, médecin en France et chef d'entreprise au Cameroun
Grioo.com a rencontré Beatrice Ngambo, médecin en France et chef d'entreprise au Cameroun où elle dirige «L'Art Textile »
Par Paul Yange le 30/03/2010
Vous êtes médecin et vous dirigez une boutique d'art textile à Douala au Cameroun. Vous êtes arrivée en France à l'adolescence. Pouvez-vous nous expliquer dans quel contexe ?

Je suis arrivée en France à l’âge de 15 ans, via les systèmes de solidarité qui existent dans tous les pays africains. Vu les revenus de mes parents je n’aurais jamais imaginé y être. Ma tante m’a fait venir, j'avais 15 ans et après le bac j’ai eu l’opportunité de faire des études de médecine que je n'aurais jamais pu faire au Cameroun. Après mes études de médecine, j'ai exercé en France et j'y exerce encore d'ailleurs.

Si certains n’ont pas la possibilité de rentrer, la seule chose que je leur demande c’est de ne pas oublier le continent. Il a besoin de nous
Beatrice Ngambo


Avez-vous eu des difficultés particulières pendant vos études ? On sait que pour les étudiants africains, ce n’est pas toujours facile...

Ce qui peut être vu comme des difficultés était la vie normale. J’ai commencé à travailler très tôt, dès la classe de 1ère comme aide malade, comme Ash (agent des services hospitaliers) dans les hôpitaux, aide soignante etc j’ai fait tous les différents métiers de cette branche, car j’en avais besoin pour être autonome financièrement et prendre le relais au niveau de la solidarité familiale[c'est à dire encadrer les plus jeunes]. Pour moi c’était la vie, et je ne me posais pas de questions.

Les seules difficultés que j’ai eues étaient de faire des études de médecine dans une faculté de médecine « difficile » en ce sens que les étrangers y étaient un peu marginalisés. Mais cela a été formateur pour moi.
Pendant longtemps j’ai du travailler comme « mercenaire », car les seules postes qu’on me proposait étaient des postes d'attaché (je ne me rappelle plus de l’intitulé exact tellement c'était méprisant). Vous êtes payée moins qu'une infirmière à faire le triple du travail des autres médecins. Ce sont des postes que j’ai catégoriquement refusés car ça me faisait penser à l’esclavage ; Donc j'ai dû travailler pendant des années comme mercenaire, c'est-à-dire faire des gardes, ne pas avoir de contrat précis avec un hôpital, faire des gardes partout où il était possible de les trouver, avoir un emploi du temps de fou, mais au moins avec ma liberté et cela j’y tenais énormément ; C’est comme ça que j’ai fonctionné jusqu’à ce que j’obtienne la nationalité française et que je puisse m’installer dans une clinique privée où j’exerce le métier d’urgentiste qui est très passionnant.

Après vous être installée en clinique privée, vous avez décidé de vous installer à temps partiel au Cameroun. Comment cette idée est-elle venue sachant que ce n’est pas une décision facile à prendre d’autant que vous aviez des enfants relativement jeunes à l’époque…

J’ai eu la chance d’être partie en France avec une certaine personnalité, et avec une conscience de ma culture, et je savais que ce je voulais. La vie en France m’a aidé à mûrir cette décision d’autant que nous avons une culture africaine qui est très riche, et je ne voyais pas de raisons de m’en priver. La décision de rentrer au Cameroun a été faite naturellement car connaissant bien les deux systèmes, les deux cultures, les deux civilisations, j’ai pu prendre le meilleur de chaque culture.

En France j’ai appris beaucoup de choses, mais je n’avais qu’une obsession qui était élever mes enfants au Cameroun pour en faire des gens un peu plus enracinés dans leur terre. On sait tous qu’un arbre qui a des racines profondes est difficile à déraciner. C était mon but, et dès que nous avons eu la possibilité de rentrer nous n’avons pas hésité. Et pour cette raison nous résidons au Cameroun où les enfants sont scolarisés. Ça fait six ans maintenant et les résultats sont très encourageants.
Comment vos proches ont t-ils réagi quand vous avez dit que vous reveniez vous installer au Cameroun ?

C’est toujours l’éternel problème (rires). Les gens ne regardent que le côté économique des choses, ce que je comprends quelque part car on a atteint un tel niveau de pauvreté dans le pays que chacun pense à ce qu’il va manger le lendemain.

La famille disait « surtout ne rentre pas, il y a trop de misère ici, tu gagnes bien ta vie là bas etc ». Certes mais ils oubliaient le côté humain et culturel…L’être humain n’est pas fait que du pain qu’il mange. Pour forger la personnalité de mes enfants, je me trouvais très limitée en France. Le contexte européen ne me suffisait pas. Il fallait que j’y ajoute une autre culture.

Avec tout ce qu’on a pourtant essayé de faire quand on résidait en France, (apprendre notre langue et nos coutumes aux enfants etc,) on a constaté que c’était insuffisant. Il fallait qu’ils viennent s’imprégner des réalités locales, vivre la solidarité africaine sur place, qu’ils viennent vivre les coutumes animistes qui sont les nôtres. Je pense que c’est vraiment très important.

Au final, vous êtes plutôt satisfaite de votre choix ?

Je suis très contente. Nous avons atteint ce but là mon époux et moi. Les enfants sont bien intégrés. Ils sont inscrits au collège Liebermann, pour ceux qui connaissent le Cameroun, c’est l’un des meilleurs collèges à Douala. Je suis vraiment très satisfaite.

Mais sincèrement, pour les jeunes africains qui vont lire cette interview, je pense qu’il y a matière à faire dans nos pays puisque de toute manière rien n’est fait. Tout est à faire. Un ingénieur informaticien n’est pas obligé de travailler dans l’informatique pure, mais peut se servir de son informatique pour développer les plantations de son grand-père...

Une employé de ''L'Art Textile''
Pour peu qu’on puisse utiliser toutes les connaissances acquises là bas en Occident, on peut faire énormément de choses. Quand je parle de ça je mets en parallèle la situation en France où le taux de chômage est tellement important. Je rencontre des jeunes gens tellement diplômés et qui font des métiers ne correspondant pas à leurs qualifications ; A la fin, ce sont des gens qui deviennent frustrés, qui deviennent des gens inutiles à la société, inutiles pour eux-mêmes et pour la famille.

Je ne dis pas que chacun doit absolument rentrer en Afrique car je sais que ce n’est pas évident non plus. Chacun à son libre arbitre et fait ce qu’il veut de sa vie, mais je pense qu’il faut essayer si on peut.

Parallèlement à votre métier de médecin, vous étiez passionnée de couture. Vous avez repris une entreprise qui opère dans ce domaine. Pouvez-vous nous dire comment cela s’est fait ? Et comment vous arrivez à concilier la médecine et la couture qui sont à priori deux métiers assez différents ?

Alors, si on voit bien, j’ai choisi les urgences. C’est un travail très manuel. Je ne veux pas dire qu’il n’y a que le côté manuel dans urgences (rires) mais il y a une bonne partie des urgences qui correspondent à ce qu’on appelle la « bobologie » dans notre jargon et qui est très manuelle, ce n’est pas hasard que j’ai choisi cette spécialité.

Pour revenir à la couture j’ai toujours cousu depuis l’enfance, puis j’ai commencé à m’habiller toute seule. Une fois en France, j'ai eu la possibilité de découvrir ce métier dans les livres, sur internet, via la technologie à ma disposition. Avec mes premiers revenus d’interne, j’ai acheté ma première machine à broder et je ne regrette pas du tout car on est passé de la passion à une boutique d’art textile à Douala qui s’appelle l’Art Textile, située à Bonapriso. C’est surtout un atelier de confection où nous essayons de mélanger le moderne et le traditionnel africain. Je peux vous dire que des idées il y en a dans notre culture ; De toute façon, si je n’avais pas été médecin j’aurais été couturière…
Quand on est à l’étranger, s’établir en Afrique, et particulièrement au Cameroun comme entrepreneur fait un généralement peur. Entre l’idée que vous en aviez et la réalité de ce que vous avez vu sur place y a-t-il des différences ?

Quand nous partions de la France mon époux et moi pour nous installer au Cameroun, nous nous sommes dit que nous allions observer et voir ce qu’il y avait à faire. On nous a prévenu que le terrain serait rude. Mais sincèrement, il n’est pas plus rude que dans les autres pays à mon avis. Avoir une entreprise en France n’est pas facile. Dans le cadre de mes activités de médecin, je soigne beaucoup d’entrepreneurs qui finissent avec des maladies psychosomatiques très liées aux difficultés qu’ils ont dans la gestion de leurs entreprises.

Je ne dirais pas que c’est aisé, mais ce n’est pas plus difficile qu’ailleurs. Il paraît que le contexte camerounais est un peu particulier à cause de la mentalité locale et à cause de notre sacrée réputation de champion en corruption. Mais quand on est sur place et qu’on se dit qu’on ne va pas aller ailleurs, il faut apprendre à se débrouiller.
Comme je le disais aussi, c’est un pays où rien n’est fait. Pour peu qu’on observe, on peut arriver à faire les choses avec le peu de moyens qu’on a.

Quand vous avez repris l’Art Textile, imaginiez-vous que la structure pourrait survivre plusieurs années, que vous pourriez trouver des clients…

C’était une entreprise équilibrée sur le plan financier, mais un peu limitée dans ses activités. Le fait d’avoir apporté de nouvelles activités nous a permis de fidéliser notre clientèle et surtout de trouver une autre source de clientèle qui n’y venait pas. L’avenir de l’Art textile est de démocratiser ses prix. On nous trouve un peu chers…

Vos produits sont plutôt hauts de gamme…

Ce sont des produits haut de gamme que nous fabriquons. Mais tout ce qui est beau est cher. Ce sont des petites mains qui les fabriquent, avec du matériel de bonne qualité, en utilisant notamment du tissu, du coton sicam qui est l’un des meilleurs disponibles selon moi. Mais nous arriverons à démocratiser nos prix et à faire des produits plus accessibles pour le Camerounais moyen.
Vous êtes donc contente du fonctionnement de l’Art textile…

Oui pour nous c’était quelque chose de nouveau. Nous avons pris ces années pour apprendre, pour comprendre, et pour orienter notre activité en fonction du pays, de la demande, et nous espérons prochainement nous installer dans la sous-région, au Gabon, Congo, Tchad etc. Il y a un gros potentiel.

Si vous aviez des conseils à donner à des jeunes qui veulent s’établir au Cameroun, et/ou comme entrepreneur, que leur diriez-vous ?

S’il y a des jeunes qui sont en France ou dans d’autres pays occidentaux et qui veulent revenir s’établir au Cameroun, je leur dirai de venir régulièrement au Cameroun pour observer le pays, ne pas rentrer brutalement, ne pas s’attendre à se faire de l’argent aussitôt rentré. Comme dans tous les pays, une affaire qui commence a besoin de temps pour s’établir. Il n’y a pas que l’entrepreneuriat, il y a aussi des emplois qualifiés que des entreprises proposent.
Je suis allé à une réunion mise en place par un jeune (Soirées réseautage NDLR) avec des entreprises partenaires. J’ai été impressionnée par le nombre par le nombre de jeunes camerounais diplômés présents dans la salle. Ce sont des jeunes qui ont fait le choix de rentrer, qui ont fait leurs études à l’étranger, et qui occupent les postes clés dans les entreprises locales, qui sont vifs, intelligents ; J’étais contente de les voir rentrer mettre leur intelligence au service du pays. Mais il ne faut pas s’attendre à ce que le retour soit facile.

Parallèlement, on peut servir l’Afrique de partout. Si certains n’ont pas la possibilité de rentrer, la seule chose que je leur demande c’est de ne pas oublier le continent. Il a besoin de nous. Et je pense que cette nouvelle année, avec les mouvements que je vois sur le plan politique, économique et social, les choses vont naturellement changer. Et il faut être là quand ça change.


Vous pouvez voir le site de l'Art Textile en cliquant Ici
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